20 juin — 20 sept. 2025
PASSERELLE Centre d’art contemporain, Brest
L’exposition Pulsar invite à une réflexion profonde sur la notion de tradition à travers les œuvres de Mounir Ayache (1991) et Sara Ouhaddou (1986). Si tous deux puisent dans un héritage culturel riche, leurs démarches se distinguent par des interprétations singulières : l’un réinventant le concept même de tradition, l’autre assurant la pérennité de savoir-faire ancestraux. Leurs travaux résonnent avec les questionnements philosophiques sur la mémoire collective, la rémanence des savoirs et l’émergence de nouvelles formes culturelles. Au cœur de l’exposition se trouve une œuvre inédite réalisée à 4 mains, intitulée Pulsar – en référence au cœur d’une étoile effondrée qui émet encore de la lumière – et fait le pont entre les pratiques de ces deux artistes.
Mounir Ayache aborde la tradition non pas comme un ensemble figé de règles ou de formes à reproduire, mais comme un champ de potentiel infini, ouvert à la réinterprétation. Son travail se caractérise par une déconstruction et une reconstruction audacieuse des codes établis incluant notamment des références à la science-fiction. Dans la lignée des réflexions sur les identités culturelles dynamiques proposées par des penseurs comme Stuart Hall (1932-2014), Ayache nous montre que ce que nous percevons comme ancien est souvent une construction malléable, susceptible d’être remodelée par le présent. Il n’hésite pas à s’approprier des motifs, des techniques ou des récits traditionnels pour les confronter à des langages contemporains, les insérer dans de nouveaux contextes, et ainsi leur insuffler une vitalité inattendue. Chez Ayache, la tradition est une matière vivante qui s’enrichit des dialogues qu’elle établit avec le présent, embrassant une forme d’hybridité culturelle chère à des philosophes comme Kwame Anthony Appiah (1954). Ses œuvres nous invitent à questionner nos propres perceptions de l’héritage culturel et à envisager la tradition comme une force motrice d’innovation, capable de se renouveler sans cesse.
En contraste, Sara Ouhaddou se positionne comme une passeuse de savoir-faire millénaires. Son art est profondément enraciné dans les techniques artisanales ancestrales, souvent transmises de génération en génération. Loin d’une simple reproduction, son approche est celle d’une transmission et d’une réactualisation. Elle collabore avec des artisans, s’immerge dans leurs pratiques et contribue à préserver des gestes et des connaissances qui, comme l’a si bien souligné l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ (1901-1991) en parlant des traditions orales africaines, constituent des bibliothèques vivantes. Ces savoirs sont la mémoire collective d’une communauté, permettant aux techniques et aux récits de persister à travers les âges. L’œuvre d’Ouhaddou met en lumière la richesse et la complexité de ces traditions artisanales, et démontre comment la perpétuation de ces savoir-faire est essentielle non seulement à la préservation d’un patrimoine matériel, mais aussi à la continuité d’un patrimoine immatériel et identitaire. Son travail est un témoignage éloquent de la capacité de la tradition à perdurer et à s’adapter, tout en conservant son essence et sa profondeur, incarnant une rémanence essentielle pour la vitalité culturelle.
Ensemble, les artistes nous démontrent que la tradition n’est pas un bloc monolithique, mais un concept pluriel, en constante évolution. Elle peut être une source d’inspiration pour l’expérimentation la plus radicale, tout comme elle peut incarner la force tranquille d’une continuité ininterrompue. Leur dialogue nous invite à célébrer la richesse de notre passé tout en embrassant les transformations nécessaires pour construire l’avenir, offrant ainsi une vision complexe et enrichissante de notre rapport au patrimoine.
16 June 2025